Interview de Didier ALLEXANDRE (promo 1995)

Interview réalisée dans le cadre du dossier "Ingénieurs ENSTA Paris et santé"

En quoi consiste ton métier ?

DA. : Je suis un manager de la science des données (Data science Manager) pour Biofourmis.
Biofourmis est une entreprise technologique mondiale qui utilise sa plateforme de prestations de soins Care@Home et l’intelligence artificielle pour fournir une solution complète pour la surveillance, l’interprétation et l’analyse des données de santé et physiologiques.
Cette technologie permet à Biofourmis de suivre et gérer les patients de manière virtuelle ou en personne, de la gestion des soins chroniques à l'hospitalisation à domicile, ainsi que d’aider les entreprises pharmaceutiques à accélérer le développement de leurs produits ou augmenter l'efficacité des médicaments avec des thérapies numériques.
Je suis responsable du développement d'algorithmes sur les données physiologiques liées à l'activité pour notre moniteur de santé connecté, l’Everion et notre plateforme, Care@Home, utilisant le traitement du signal et l'intelligence artificielle. Cela inclut les algorithmes liés au sommeil, au nombre de pas, à la détection des chutes…
 

Quel a été ton cursus académique, et en particulier ta spécialisation à ENSTA Paris ?

DA. : J’ai été admis à ENSTA Paris à la sortie des classes préparatoires. Après avoir complété ma deuxième année, j’ai décidé de poursuivre un mastère en génie électrique et informatique à la University of British Columbia au Canada, avec une recherche dans la modélisation des ondes ultrasonores. Ce mastère servit d’équivalent de ma troisième année. Si bien que même si j’ai choisi la spécialisation « électronique » si je me rappelle bien, je n’ai pas vraiment suivi cette formation à ENSTA Paris. J’ai ensuite travaillé deux ans pour General Electric Medical System à Buc (France) avant de décider de poursuivre un doctorat en génie biomédical à Case Western Reserve University, à Cleveland aux États-Unis.
 

Quelles ont été les grandes étapes de ton parcours depuis ta sortie d'ENSTA Paris ?

DA. : Mon parcours a beaucoup évolué au fil de ma carrière mais est toujours resté dans le domaine du génie biomédical et en particulier la mesure, l’étude et le traitement avancé des données physiologiques que ce soit cardiaque, musculaire ou neuronal.
Après avoir complété mon doctorat, j’ai suivi un parcours de recherche académique qui commença à l’Institut de recherche de Cleveland Clinic. La recherche se concentrait sur l’étude des effets physiologiques et biologiques du stress, de la relaxation et de la méditation, surtout dans le domaine cardiovasculaire.
Suite à une collaboration, mon intérêt de recherche s’est redirigé vers l’étude et la réhabilitation neuromusculaire de la fatigue chronique dans le cancer, et ensuite du trouble du mouvement suite aux lésions cérébrales traumatiques ou vasculaires et de la moelle épinière, tout en continuant d’étudier le potentiel de la méditation et l’imagerie dans ce domaine. C’est là que j’ai accepté un poste de directeur de recherche et de laboratoire à Kessler Foundation dans le New Jersey, où j’ai poursuivi dans ce domaine de recherche pendant 10 ans.
Désillusionné par le besoin croissant de faire des demandes de bourses pour financer les recherches et motivé par le désir d’avoir un impact plus pratique et immédiat, j’ai décidé de quitter récemment la recherche académique. J’ai eu la grande chance de trouver ce poste chez Biofourmis, qui me permet de mettre en valeur mon expertise technique et mon expérience de gestion de projets dans les capteurs biomédicaux et la collecte et le traitement des données physiologiques.
 

De ton point de vue, quel rôle a ou doit avoir l'ingénieur ENSTA dans le domaine de la santé ?

DA. : Un des côtés positifs de la COVID-19 est d’avoir mis en valeur les avantages et le potentiel de la télémédecine et des thérapies numériques, ainsi que la mise en place des régulations nécessaires à leur implémentation. En parallèle, la révolution technologique autour du Big Data et l’intelligence artificielle est en train de transformer la santé et l’industrie pharmaceutique. L’analyse et interprétation de cette vaste quantité de données historiques ou continues ouvre le potentiel d’améliorer le diagnostic, le suivi médical, la gestion des conditions chroniques et la délivrance du traitement de manière proactive, continue et personnalisée. La gestion des patients et des maladies chroniques de manière virtuelle et avec l’intelligence artificielle peut aussi offrir une solution au manque de médecins, au coût croissant de la santé, au vieillissement de la population, tout en améliorant l’expérience du patient.
Mais le secteur a besoin d’opérer un changement majeur d’un point de vue médical, opérationnel, technologique, scientifique, culturel et de régulation pour pouvoir intégrer, capitaliser et bénéficier de cette révolution technologique.
Le secteur biomédical et de la santé est multidisciplinaire par nature. Le cursus scientifique, pluridisciplinaire et généraliste positionne de manière unique l'ingénieur ENSTA Paris pour contribuer à cette révolution technologique dans le domaine de la santé, que ce soit au niveau scientifique ou de l’encadrement et de la gestion de projets. Le cycle ingénieur dans les pôles « ingénierie mathématique » et « informatique », le cycle mastère en intelligence artificielle ou le doctorat semblent particulièrement bien adaptés pour cela.
 

Peux-tu nous donner l’exemple d’une action, d’un projet significatif que tu as mené en matière de santé ?

DA. : Dernièrement, nous avons développé un algorithme de détection de chute pour pouvoir répondre en cas de blessure. La première étape consiste à concevoir et implémenter un protocole clinique dans notre laboratoire pour générer les données nécessaires au développement. Les participants doivent porter plusieurs appareils de mesures et effectuer plusieurs types de chutes représentant tous les scénarios possibles. La capacité du modèle algorithmique d’apprendre à détecter les chutes dépend beaucoup de la qualité et du côté représentatif des données acquises par rapport à des chutes réelles. Ensuite, il s’agit pour notre équipe de traiter les données, d’extraire les informations et de développer le modèle de détection. L’algorithme final doit balancer la performance, la mémoire et la puissance de calcul limitée de notre moniteur.
Ce projet nécessite une expertise multidisciplinaire que ce soit dans la gestion générale du projet, la conception et la gestion d’essais cliniques pour générer les données, le développement programmatique et architectural de l’algorithme et les concepts mathématiques associés à l’intelligence artificielle. La science, l’intuition et la capacité à résoudre des problèmes et à promouvoir un travail collectif sont tous nécessaires au développement d’un algorithme performant et optimisé.
 

En quoi ta formation à ENSTA Paris t'a-t-elle aidé ou t’aide-t-elle dans cette action ? Dans ta fonction en général ?

DA. : Ce qui m’a aidé dans ma carrière scientifique et d’ingénieur, et ultimement dans ce projet, c’est la formation pluridisciplinaire d’ENSTA Paris couplée avec une formation mathématique solide et avancée en classes préparatoires et en première année.
 

Gardes-tu un souvenir anecdotique de l’école ?

DA. : Les activités extrascolaires et la création d’amitiés ont généré les souvenirs les plus mémorables tout en jouant un rôle extrêmement formateur d’un point de vue personnel. Après avoir passé trois ans à étudier en classes préparatoires pour les concours, les activités extrascolaires m’ont permis de m’ouvrir au monde tout en développant les compétences socio-émotionnelles qui sont aussi nécessaires dans toute carrière. En particulier, mon expérience avec l’association Ingénieurs Sans Frontières, et les projet et voyage au Mali, ont été un des moments les plus décisifs dans ma vie et ont généré le désir de faire ma troisième année au Canada pour m’exposer à d’autres cultures et poursuivre une carrière dans le biomédical !
 

As-tu des conseils à donner aux élèves actuels ?

DA. : Une des raisons d’avoir choisi ENSTA Paris était l’aspect généraliste de sa formation d’ingénieur pour ne pas me confiner dans une spécialisation, ne sachant pas trop dans quel domaine je voulais poursuivre. ENSTA Paris et l’Institut polytechnique de Paris dont elle fait partie, offrent maintenant beaucoup plus de choix de cursus et de formations. J’encouragerais tous les élèves à explorer leurs options au travers des projets et des stages, et de tirer pleinement avantage des séjours à l’étranger.
La formation généraliste offre aussi l’avantage et la capacité d’explorer d’autres directions si une carrière ou un poste ne convient plus.
Embrassez la découverte et le changement pour trouver une carrière qui vous satisfasse et vous comble personnellement et professionnellement !
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